L’Effroi, par François Garde, éditions Gallimard, Coup de cœur lettres frontière 2017
CRITIQUE , ROMAN / 3 novembre 2017

Lors de la première de Cosi fan tutte à l’Opéra Garnier, le chef d’orchestre Louis Craon, mondialement célèbre, effectue le salut nazi avant de commencer à diriger. Après quatre secondes de stupeur et d’effroi, Sébastien Armant, altiste au sein de l’orchestre, se lève et tourne le dos au chef. Les caméras de télévision sont présentes ce soir-là et ne manquent rien de l’événement. Elles filment aussi l’ensemble de l’orchestre qui se lève à son tour et Louis Craon, qui quitte la scène. Comme le veut la tradition, c’est le premier violon qui prend la baguette. Nous sommes le 20 avril, jour anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler. Sébastien se retrouve sous les feux des projecteurs du jour au lendemain: journaux, radio, télévision, il est partout. Jean-Pierre Chomérac, président du conseil d’administration de l’Opéra, contesté pour son manque de connaissances musicales, voit en Sébastien l’occasion de conforter sa position, de mettre l’Opéra en lumière et de conquérir de nouveaux publics. Chaperonné par Anne-Sophie, la chargée de communication, Sébastien donne interview sur interview, rencontre des lycéens et participe même a un célèbre jeu télévisé. Là encore, il va dire non, mais du bout des lèvres, à la farce finale. Toute la vie…

Qu’est-ce que le populisme, par Jan-Werner Müller, Editions Premier Parallèle
CRITIQUE , ESSAI / 15 avril 2017

Qu’est-ce que le populisme? Est-il possible de le théoriser? La réponse est indiscutablement oui une fois refermé le livre de Jan-Werner Müller, enseignant en théorie politique et en histoire des idées à l’Université de Princeton. Après avoir exposé le populisme en théorie dans la première partie de son ouvrage, et en partie dans la deuxième, l’auteur se penche sur la manière qu’ont les démocrates de se confronter au populisme. Et le constat est assez sévère. La tendance est à exclure les mouvements populistes, eux-mêmes excluants en vertu de leur spécificité: leur prétention a représenter le peuple, le vrai peuple, dans sa totalité. Ne pas être en accord avec les thèses des populistes exclu de facto de ce qu’ils appellent le vrai peuple. Dans le système politique participatif, les populistes ont beau jeu de critiquer les élites qui les empêchent d’accéder à un pouvoir auquel le vrai peuple leur donnerait droit s’il était entendu. Une fois arrivés au pouvoir, les populistes prétendent être empêchés d’agir par les puissances économiques, voire des puissances occultes. La théorie du complot n’est pas très loin. Il est important de préciser que la perception et la compréhension du populisme est très différents d’un continent à l’autre….

Inhumaines, par Philippe Claudel, Editions Stock
CRITIQUE , ROMAN / 19 mars 2017

Philippe Claudel pousse-t-il le bouchon trop loin ? Non ! Il pousse un peu, un peu seulement le curseur et jette sur notre société un regard au cynisme salvateur. D’aucuns ricaneront certainement à la lecture de ces vingt-cinq tranches de vie dans lesquelles les morts sont mangés par souci écologique, où les parieurs mettent en jeu leur femme pour deux mois d’esclavage sexuel et où les bobos se réparent à la tronçonneuse. Il y en a d’autres, et des pires ! Le tout, sous la protection bienveillante de l’Entreprise où tout se passe, tout se discute, tout se décide. Plus d’émotions, plus d’envies, plus le moindre recul. Juste une capacité à ricaner, à se moquer, à blâmer, puis à éliminer. Philippe Claudel est en Colère avec un C majuscule. Et ça fait un bien fou ! Enfin, est-on tenté d’écrire. Enfin, quelqu’un pointe le fond du problème d’un doigt accusateur. Alors oui, Philippe Claudel parodie (à peine lorsqu’un galeriste vend pour une œuvre d’art le SDF mort devant sa boutique), mais il nous pose surtout une question fondamentale. Où allons-nous si nous continuons comme ça ? «Je vais certes voter» écrit-il, «mais je le fais sans conviction. La couleur de ceux qui nous gouvernent ne…