Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?, par Rachid Benzine, Editions du Seuil

4 mars 2017

«Je suis, depuis des mois, travaillé par une question lancinante, qui revient cogner en moi comme une migraine, récurrente, familière. Pourquoi de jeunes hommes et jeunes femmes, nés dans mon pays, issus de ma culture, dont les appartenances semblent recouvrir les miennes, décident-ils de partir dans un pays en guerre et de tuer au non d’un Dieu qui est aussi le mien ?»

Cette question, Rachid Benzine, enseignant, islamologue et chercheur franco-marocain, a choisi de la traiter à travers une fiction. Mais son roman épistolaire a valeur d’essai tant il aborde intelligemment une question qui, pour beaucoup, reste sans réponse.

Nour (qui signifie lumière en arabe) écrit à son père pour lui annoncer qu’elle est à Falloujah, où elle vient d’épouser le chef de la police locale. Son père, enseignant et philosophe, chercheur comme Rachid Benzine, est tout d’abord rassuré de recevoir des nouvelles de sa fille de vingt ans. Mais il est abasourdi par ce qu’il découvre. Nour, à qui il a inculqué le sens critique, les principes de l’analyse et de l’étude (elle poursuivait de brillantes études en philosophie et en science religieuse) a choisi de rejoindre l’Etat islamique. Père et fille vont dès lors correspondre, jusqu’au drame final. Une série de lettres dans lesquelles chacun va argumenter, le père en se servant de sa raison, Nour en se fondant sur un idéal et sur sa foi. La jeune femme est partie avec pour premier dessein d’aider, convaincue du bien fondé de sa démarche. Et le lecteur lui accordera la bonne foi, sans hésiter. Le père, lui, est confronté à son propre échec : il n’est pas parvenu à faire comprendre à sa fille les fondements de sa réflexion, lui qui est pourtant un musulman pratiquant et, surtout, il n’a rien vu venir. Il n’a pas senti naître, ni vu grandir ce que les medias appellent aujourd’hui la radicalisation.

La force immense du livre de Rachid Benzine est de ne donner de leçon à personne. Il constate le fossé qui sépare deux schémas de pensée qui sont devenus incompatibles. Le ton va d’ailleurs monter entre le père et la fille et les arguments se faire de plus en plus durs, de plus en plus radicaux, jusqu’à l’accusation. Mais le lien du sang permet au dialogue de se poursuivre.

S’il ne jette de pierre à personne, Rachid Benzine s’interroge sur les responsabilités de part et d’autre : «Daesh et l’Occident ne sont-ils que les deux faces d’une même pièce ? A la barbarie de Daesh répondent l’impérialisme, le libéralisme et leur cortège de monstruosités quotidiennes».

Ce court texte a été adapté au théâtre pour être monté, notamment à Bruxelles. Un bon moyen de rétablir un début de dialogue avec une génération qui manque de repères autres que deux points de croissance ou l’augmentation de la courbe du chômage.

Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?, par Rachid Benzine, Editions du Seuil, 94 pages

J’aurai le plaisir et l’honneur d’animer une rencontre avec Rachid Benzine autour de cet ouvrage dans le cadre du Salon international du livre et de la presse de Genève, jeudi 27 avril 2017, de 16h à 17 h, sur la scène philo.

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