«Nous avons besoin des mots du poète, parce que ce sont les seuls à être obscurs et clairs à la fois. Eux seuls, posés sur ce que nous vivons, donnent couleurs à nos vies et nous sauvent, un temps, de l’insignifiance et du bruit.» Ainsi s’achève l’introduction à ce magnifique recueil de poèmes. Introduction dans laquelle Laurent Gaudé en appelle à une «poésie moite et serrée comme la vie de l’immense majorité des hommes.» Et cette poésie, l’auteur nous l’offre dans les pages qui suivent. En vers libres, Laurent Gaudé nous dit ce qui le blesse jusque dans sa chair, ce qui l’émeut, ce qui le révolte, ce qui l’abat, ce qui le relève aussi, à l’instar du monumental Serment de Paris qui termine l’ouvrage. «Ne laissez pas le monde vous voler les mots» écrit Gaudé dans Ecoutez nos défaites, son dernier roman. Sa poésie est cohérente, escamote l’insignifiance, fait taire le bruit. La traite négrière, la cause kurde, les plaies multiples d’Haïti ne sont plus des images de journal télévisé. Ce sont des mots pour dire les maux de notre monde. Des mots que ce monde ne nous volera pas tant que nous continuerons à leur accorder leur valeur…
Dans l’une des scènes initiales d’Ecoutez nos défaites, Laurent Gaudé met en scène Ferruccio des Verrückte, joueur d’échec un peu fou qui «sait, lui, que lorsque l’obscurité tombe, lorsque le dernier adversaire est battu, le pire commence, car c’est le moment où il faut accepter de retourner à ses propres tics et à ses tourments.» Qu’advient-il lorsque ces adversaires sont des centaines ou des milliers ? Pour le comprendre, l’auteur explore une guerre d’empire avec Hannibal, une guerre civile avec le général Grant et une guerre coloniale avec Hailé Sélassié. Parallèlement, Assem Graïeb, agent des services secrets français, traque, à la demande des Américains, un GI qui a participé à l’élimination de Ben Laden et qui se livre désormais aux trafics sous le nom de Job. Chargé jusqu’ici de désigner des cibles aux avions de combat, Assem est, pour la première fois, confronté à sa seule responsabilité. Il doit évaluer Job afin de définir s’il doit être «neutralisé» ou non. Mais au final, les deux hommes sont plus proches qu’on ne le croit et Assem rendra son verdict, non pas face aux juges, mais les yeux dans les yeux avec l’accusé lui-même. A Zurich, où le roman commence, Assem a rencontré…