Martial Kermeur a balancé par dessus bord Antoine Lazenec, promoteur immobilier. Le corps a été retrouvé sur la plage. Kermeur a tué, la chose est certaine dès les premières pages du roman. C’est dans le bureau du juge que se déroule tout le livre. Kermeur raconte l’histoire de ce projet immobilier, cette providence pour la presqu’île de Brest. Un projet qui aura mis six ans à ne pas se construire à l’emplacement de ce que les autochtones appellent le château. Château qui lui, par contre, a été démoli. Le juge parle peu, très peu. Si bien que Kermeur se confie, s’ausculte, se sonde comme il le ferait sur le divan d’un psychanalyste. Ancien ouvrier de l’arsenal de Brest, Kermeur a investi les cinq cent douze mille francs de sa prime de licenciement dans le projet de Lazenec. Et c’est sous ses fenêtres que le projet n’avance pas. Militant socialiste, ami de Martial Le Goff, le maire, socialiste lui aussi, Kermeur raconte les six ans de son attente, de son espoir et de sa désillusion. L’âge de son fils, Erwan, lui sert de point de repère. Il a onze ans quand tout commence, il en a dix-sept et se trouve derrière…
On retrouve dans ce roman l’ambiance de son prédécesseur, La fille de mon meilleur ami. Yves Ravey installe l’ambiance en quelques pages. Ses personnages sont toujours à la limite, entre la marge et l’intégration sociale. Dès les premières pages, on sait que Gu, Gustave Leroy, a tué John Lloyd, l’amoureux de Stéphanie qui, comme Mathilde dans le roman précédent, est serveuse dans une boîte de nuit. Paradoxalement, Stéphanie demande à Gu d’enquêter sur la disparition de son amoureux. Mais Mike, le frère de John, débarque dans la région. Personnage énigmatique, Mike parle peu, mais il est déterminé. La force d’Yves Ravey est d’obliger son lecteur à s’impliquer, à remplir les ellipses. Ou, Gu a tué John Lloyd, mais pourquoi? Pour garder sa maison? Pour garder Stéphanie? Ou pour une autre raison encore. Toute la saveur du polar servie par une écriture remarquable. Sans état d’âme, par Yves Ravey, éditions de Minuit, 2015, 126 pages.