Même s’il a abandonné son deuxième prénom, je suis suffisamment avancé en âge pour me souvenir de la signature de Narcisse-René Praz dans La Pilule, Le Libre-penseur ou Le Crétin des Alpes, publications satiriques ou libertaires des années 70 et 80. J’ai également eu entre les mains Le Petit livre vert-de-gris, pamphlet antimilitariste qui avait fait couler pas mal d’encre dès sa sortie, en 1973. C’est donc avec intérêt et curiosité que je me suis plongé dans ce volumineux Luxure et Châtiment. Et, bonne surprise, j’y ai d’abord rencontré une écriture, une patte, un souffle. Narcisse Praz répète à l’envi les filiations, les appartenances, les fonctions, rappelle plus que nécessaire les tenants et aboutissants de l’intrigue, mais réussit la gageure de n’être jamais rébarbatif. Ces répétitions, littéraires, volontaires, sont un rosaire laïque et font écho aux dix-huit mille Ave Maria de Lucie Gall, mère de Martin Gall (il fallait oser comme il fallait, entre autres, oser appeler le psychiatre et psychanalyste de l’affaire Sigmund Lajoie), prêtre abuseur du juvénat de Beaulieu, en ville de Fribourg, établissement appartenant aux pères missionnaires de la congrégation de saint François d’Alès. Narcisse Praz nous raconte l’histoire de Théo Sornioz, garçon d’alpage valaisan, dont l’hypothétique…
David Foenkinos renoue avec le monde de la peinture pour son très beau roman, Vers la beauté. On y croise d’ailleurs Charlotte Salomon, sujet de son roman paru en 2014. Antoine Duris est professeur d’histoire de l’art aux Beaux-Arts de Lyon. Mais il décide de démissionner et se fait engager comme gardien au Musée d’Orsay où une rétrospective Modigliani s’ouvre justement. Ca tombe bien, Antoine a consacré sa thèse au peintre. A Paris, le nouveau gardien évite autant que faire se peut toute forme de socialisation. Il vit dans le souvenir de l’amour de Louise et dans un spleen dont le lecteur ne connaîtra la raison qu’en toute fin de roman. Dans l’exercice de sa nouvelle fonction, Antoine ne peut s’empêcher de compléter les commentaires du guide qui conduit les groupes à travers le musée. Sa première intervention lui vaut une remontrance de la pourtant bienveillante Mathilde, directrice des ressources humaines. La seconde incartade sera fatale. Mathilde, qui n’est pas insensible à la personnalité très réservée et un peu rêveuse d’Antoine, le ramène à Lyon. En arrivant dans sa ville, Antoine conduit Mathilde dans un cimetière, sur la tombe de Camille Perrotin, morte à l’âge de 18 ans. C’est dans…
Comment parler de ce livre sans l’abîmer, sans le trahir, sans être décalé? Pour son premier roman, Oscar Lalo saisit à pleines mains l’un des sujets les plus complexes, les plus sensibles qui soient. Comment dire l’indicible? A soixante-cinq ans, son personnage raconte enfin ce qui lui est arrivé dans ce home d’enfants dans lequel il a passé toutes ses vacances scolaires. Vacances parfaites aux yeux des parents rassurés par le dépliant publicitaire, avec son jus d’orange, ses croissants et son gentil chien. Vacances de l’horreur pour les enfants, dès la montée dans le train, puis au home, entre une directrice dictatoriale et son mari, l’homme d’enfants, l’abuseur, celui qui ne sera plus leur ami s’ils parlent. Pourtant, le narrateur avouera son adoration de ce lieu où on lui a volé son enfance et, partant, tout le reste de sa vie. Parce que lorsqu’on a deux ans et demi, puis quelques années de plus, on est persuadé que tout est notre faute, qu’on est entièrement responsable de ce qui nous arrive. Toute une vie foutue en l’air, à briser les élans de ceux qui vous aiment, à ne jamais rester inoccupé, de peur de penser. Même la méditation se limite…