Bande originale de Prends le temps de penser à moi, par Gabrielle Maris Victorin

21 janvier 2018

7 janvier 2015, la date est encore dans toutes les mémoires. C’est ce jour-là que la rédaction de Charlie Hebdo a été massacrée dans un attentat épouvantable. Presque deux ans après les événements, Gabrielle Maris Victorin rend hommage à son père, l’économiste, écrivain et romancier Bernard Maris, qui a perdu la vie ce jour-là. Dans Prends le temps de penser à moi, elle raconte avec pudeur les moments cruels, insoutenables, ceux de la découverte du drame et ceux de l’après drame: images en boucle sur les télévisions, reconnaissance du corps, liquidation de l’appartement paternel, récupération de ses effets personnels au poste de police.

Et cet hommage n’est pas dénué de références musicales. «Je l’imagine, les jambes croisées, face à la mer, avec ses Ray-Ban d’aviateur, avec sa vieille casquette (il a toujours porté des chapeaux) et son journal, et je me souviens tout à coup de cette guarija chantée par Pepe de Lucia, qui lui plaisait tant, avec le va-et-vient d’une guitare indolente et les paroles de la letra: «Me gusta por ma nañana, despues del cafe bebio, pasearme por la Havana, con mi cigarro incendio, y sentarme muy tranquilo en mi silla o en mi sillón, y comprarme un papelón de esos que llaman diario, y parezco un milionario rico de la población.»»

Bernard Maris parlait occitan avec ses grands-parents qu’il adorait. «Il n’avait plus parlé occitan, alors, mais avait gardé de son enfance cette berceuse traditionnelle, que l’on croise, dans différentes versions, de la Provence aux Pyrénéées: «Som, som, som, Veni, veni, veni.» Sommeil.sommeil, viens.»

Bernard Maris aimait la Méditerranée, la Tunisie, le Maghreb. «Il était allé à Cuba pour la première fois avec Raphaël, quelques mois avant de mourir. Ils en étaient revenus tous les deux si heureux! Petite, j’avais été bercée par Carlos Puebla et je pourrais encore chanter à mes enfants «Y en eso llegó Fidel», «Cante a Camilo» ou «El son de la alfabetización»

Gabrielle se souvient aussi des musiques qu’elle écoutait dans la voiture de son père: «Dans sa voiture, un vieil autoradio qui fonctionnait mal. On écoutait Brassens, Eddy Mitchell, Louis Prima et Fats Domino. On riait aux éclats, je ne sais pas pourquoi, aux accents de la trompette dans le morceau The Lip

«Les sons se déformaient quand l’autoradio ralentissait et on reprenait à tue-tête les refrains, en contrefaisant nos voix. En écoutant Blueberry Hill, ce soir, je réalise que Fats Domino est encore vivant. Moi qui le croyais mort depuis longtemps. Je me demande si mon père le savait.»

Bernard Maris souhaitait également qu’il y ait de la musique lors de ses obsèques: «Ce texte qu’il souhaitait qu’on lise pour ses obsèques. Il m’avait donné plusieurs fois ses instructions à ce sujet. Montgiscard où il avait été si heureux, petit garçon, avec son grand-père chéri, le maréchal-ferrant. Borges. La chanson Chan Chan de Compay Segundo. J’avais noté tout ça en souriant. Nous en avions même plaisanté. Sa mort n’était qu’un hypothèse.»

Bernard Maris offre aussi des livres à sa fille, des livres qui parlent de musiciens: «Ousset, de chez qui on ne repartait jamais sans un livre à la main, acheté, ou prêté (aux étudiants fauchés), ce roman sur Bix Beiderbecke, par exemple, Le jeune homme à la trompette, de Dorothy Baker, traduit par Boris Vian

Après l’assassinat de son père, il s’agit pour Gabrielle de réapprendre à marcher: «A p’tits pas, à p’tits pas» chantonnait parfois mon père. Tu t’en souviens, tu avais appris ça à l’école maternelle.»

Et dans l’appartement de son père, Gabrielle l’évoque une fois encore: «Que son fauteuil réapparaisse et avec lui la petite chaîne hi-fi et ce quatuor de Schubert qu’il aimait, que les livres entrent en volant par les fenêtres et se réinstallent tout autour de la pièce.»

 

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